"Il y avait un logis de campagne, nommé Grand-Ry qui était fort éloigné
des papistes. Ce logis appartenait à des gentilshommes de la Religion, qui
avaient tout abandonné pour se retirer dans les pays de liberté. Il y avait
là un fermier nommé ROUSSEAU, aussi de la Religion. On prit donc la
résolution de s'assembler dans la cour de ce logis, qui était close tout
alentour de hautes murailles."
Une première assemblée clandestine eut lieu début février à Grand-Ry.
Il fut convoqué une autre assemblée pour le 22 février 1688.
"Le bruit couru tout aussitôt par toutes ces contrées que l'intendant devait venir avec des dragons pour prendre l'assemblée. On en fut même entièrement persuadé. Mais cela n'empêcha point les protestants de s'assembler. Mais ils ne se mirent point dans la cour du logis de Grand-Ry, ils se mirent dans un pré tout près de là. Comme ils étaient assemblés, sans armes et sans bâtons défensifs, et qu'ils continuaient les exercices de piété, on entendit battre le tambour à force : c'était l'intendant qui venait avec ses dragons... l'intendant avait donné l'ordre aux dragons de fondre dessus l'assemblée, et de faire feu en arrivant dans la foule , ce qui fut exécuter dans les formes, car les dragons commencèrent à fondre avec vitesse sur ce pauvre peuple, avec le mousqueton en main et le sabre nu pendu au bras, et les blasphèmes à la bouche s'écrièrent tous à la fois : tue ! tue ! ... On entendait que coups de fusils et coups de pistolets, qui étaient déchargés au travers de la foule.
Ils en tuèrent quelques uns sur la place, et les autres qu'ils blessèrent.
Ils environnèrent l'assemblée, et ainsi se saisirent de tous, hommes, femmes
et filles à la réserve de quelques uns qui se sauvèrent à la course ... on
les mit tous ensemble dans une étable à brebis, qui était fort spacieuse. On
les fit garder par les dragons le reste du jour et la nuit suivante.
Le
lendemain ... l'intendant ... tous les curés des paroisses d'alentours s'y
trouvèrent, et plusieurs seigneurs des lieux voisins. Quelques uns de ces
curés, des moins passionnés contre la Religion, demandèrent quelques uns de
leurs paroissiens, pour qui ils avaient le plus de considération. Les seigneurs
des lieux voisins en faisaient de même au sujet de quelques uns de leurs
vassaux : on leur accorda moyennant qu'ils ne fussent point en réputation
d'être des moteurs d'assemblée. Ils faisaient sortir toutes les femmes et
filles, non sans avoir souffert quelque mal, car les dragons les avaient bien
maltraitées ... ils laissèrent aussi sortir tous les vieillards qui étaient
incapables de la galère."
Extrait du "Manuscrit de l'ORTE, BERTHELOT le huguenot insaisissable", écrit par Jacques BONNET, neveu de BERTHELOT vers 1720.