Les protestants, la mort, leurs sépultures
S’il est un sujet qui sépare protestants et catholiques c’est bien celui de l’approche de la mort et de l’accès à un éventuel au-delà.
Nous n’avons pas compétence pour expliquer en détail ce qui les différencie. Disons simplement que pour les catholiques il y a la nécessité de la confession des péchés, d’un sacrement, de l’intercession du prêtre pour gagner le ciel. Pour les protestants chacun, ayant gagné son ciel par sa façon de vivre sur terre, se présente donc devant Dieu tel qu’il a vécu.
Cette différence explique pourquoi, après la révocation, les protestants les plus fermes, à l’article de la mort, résistèrent autant qu’ils le purent aux tentatives des prêtres qui voulaient leur donner les derniers sacrements afin qu’ils meurent en appartenant à l’Église catholique, apostolique et romaine. Cette résistance déclencha les plus odieux excès de l’Église catholique à l’encontre des cadavres des “hérétiques”. Ce furent les dépouilles des “opiniâtres” traînées sur la claie infamante et abandonnées dans les champs et pire encore, les cadavres que l’on déterrait pour les juger et les condamner à ce supplice.
C’est pourquoi le problème des sépultures protestantes est difficile et d’un abord délicat.
Avant la révocation les protestants étaient enterrés au mieux dans un “espace” qui leur était réservé dans le cimetière catholique mais le plus souvent ils avaient leurs propres lieux de sépultures.
La révocation change tout : partant du principe qu’il n’y a plus d’“hérétiques”, ces espaces et les cimetières qui leurs sont réservés sont interdits, tous les défunts doivent être inhumés dans la terre consacrée du cimetière paroissial .
C’est à partir de cette époque que peu à peu, le temps passant, les protestants vont commencer à créer leurs propres cimetières, d’abord en secret (difficile, dans un village de dissimuler à ses voisins le décès d’un membre de sa famille), puis en en demandant l’autorisation auprès de la Sénéchaussée ou du Siège Royal dont dépend la paroisse. Les généalogistes connaissent bien les registres de permis d’inhumer où on peut relever les noms des décédés
L’usage de ces cimetières familiaux va durer tout au long de la période du “désert”, de la Révolution, de l’Empire et perdurer jusqu’à nos jours. Cependant, le nombre de ces inhumations dans un terrain familial s’amenuise régulièrement.
À partir du concordat, la liberté de culte est reconnue. On verra dans les cimetières communaux des parties réservées à chacun des deux cultes. Par exemple à Saint-Coutant (79) le cimetière de la commune fut divisé en deux parties, la partie haute réservée aux catholiques, la partie basse aux protestants, chacune ayant sa porte d’entrée. À Mougon, par tradition, la partie droite du cimetière était plutôt utilisée par les protestants et les libres-penseurs et la gauche pour les catholiques et ce, jusqu’à il y a quelques décennies. Des communes ont des cimetières protestants séparés, comme ceux d’Exoudun, La Mothe Saint-Héray, et Saint-Pierre de Melle par exemple.
C’est à ce moment que fut créé le cimetière de La Cournolière dans la commune de Moncoutant. Implantée au bord du bocage vendéen, presque en pays chouan, une forte communauté protestante vit ici. Cet immense cimetière, unique dans le Poitou huguenot, où l’on peut voir sans doute plus d’un millier de tombes est encore régulièrement utilisé par cette communauté.
La loi de séparation, l’évolution des mœurs, le développement de la crémation ont peu à peu fait disparaître ces habitudes.
Les cimetières familiaux
Dans le Moyen-Poitou le promeneur qui abandonne les grands itinéraires pour emprunter sentes et chemins autour des villages et hameaux, pour peu qu’il y prête attention, remarquera un nombre important de petits cimetières. Souvent repérables de loin par un cyprès, ce doigt de verdure éternelle qui nous montre le ciel, presque toujours entourés de murs, mais parfois sans clôture, ils nous disent que là ont été enterrés des protestants.
Durant la période du désert, puisqu’on leur refusait la terre consacrée du cimetière paroissial, les protestants prirent l’habitude d’inhumer leurs morts dans un coin du jardin familial.
Bien que de nos jours cette coutume soit perpétuée par un nombre non négligeable de familles, la fréquence de ces sépultures privées diminue inexorablement.
Les raisons en sont multiples :
- Les familles pauvres, le plus grand nombre, ne pouvaient faire jadis la dépense d’un monument funéraire si modeste soit-il, seule une pierre indiquait l’emplacement de la fosse. La nature a tout fait tout disparaître.
- Le transfert dans un cimetière communal, à cause de leur difficulté d’accès.
- La présence d’un tel cimetière peut empêcher la vente ou l’achat du terrain sur lequel il est situé à cause des servitudes qui y sont liées.
- Après un remembrement le cimetière se trouve au milieu d’une pièce de terre ou le long d’une clôture. Si la famille du propriétaire réside au loin et laisse les lieux abandonnés, un coup de tracteur discret et tout disparaît…
- Éparpillement, éloignement et même disparition des descendants.
source : carte IGN 1628Ouest
Sur cette carte d'une partie ( 3 km x 2 km ) de la commune de Thorigné, depuis toujours haut lieu du protestantisme poitevin, on peut relever plus d'une quarantaine de sépultures, indiquées par † ou "tomb." sur la carte de l'I.G.N.
Nous savons par expérience personnelle que toutes n'ont pas été notées.
Dans toutes les communes du Moyen-Poitou protestant on retrouve une telle densité de cimetières familiaux.
Le temps passe inexorable. L’oubli et la nature effacent le souvenir, même gravé dans la pierre.
________________________________________
Documents
Cimetière de Cherveux 1635
Guillaume CROUÉ dénoncé à Nanteuil 1696
Certificat de décès Abraham MAGNERON 1723
___________
L’acte mortuaire de Pierre de Saint-Martin
Par devant les notaires Royaux à Saint-Maixent soussignés ont comparu en leurs personnes : Pierre Nocquet, restaurateur de corps humains au village de Virsay paroisse d’Aigonnay, Abraham Nocquet, laboureur, demeurant à la métairie de la Forêt, paroisse de Sainte Blandine, lesquels ont dit, déclaré et affirmé qu’ils ont mémoire et parfaite connaissance de la mort de défunt Pierre de Saint-Martin, vivant aussi restaurateur de corps humains, qui arriva au village du Vignault, paroisse de Prailles, le jeudi dix neuvième février de l’année que l’on comptait mille six cent quatre vingt treize, sur les six heures du matin, ce que le dit Abraham le vit décéder, ce que le même jour , le soir bien tard, ils aidèrent avecq autres personnes à mettre le dit deffunt de Saint-Martin en terre dans une vigne pour lors lui appartenant, appelée vigne du Vignault sise en la dite paroisse de Prailles proche la métairie de Monteuil, dont de laquelle déclaration, Jeanne Richard, veuve dudit feu Saint-Martin en a requis acte que nous dits notaires et à ce requérant, lui avons octroyé pour servir en temps et lieu ce que de raison, au bourg de Prailles le vingt cinquième jour de janvier mil sept cent huit après midy, et ont les dits Nocquet signé, et la dite Richard déclaré ne savoir signer de ce enquis
source Notaire Deparis, A D D S , 3 E 782, acte 12
__________________________________________
Pierre de Saint-Martin
Nous sommes en février mil six cent quatre vingt treize, Pierre sent qu’il va mourir.
La dernière décennie défile devant ses yeux.
Les dragons, guidés par l’odieux curé Gandouet de Thorigné, ont traîné de force les “hérétiques” à l’abjuration. La résistance a commencé. Le cadavre du vieux Marché a été traîné sur la claie infamante et jeté aux chiens.
Pierre a participé aux premières assemblées clandestines. Il était là, à un quart de lieue de chez lui, à Grand-Ry, le vingt et un janvier mil six cent quatre vingt huit, pour prier avec d’autres fidèles. Il y a subi l’assaut de la soldatesque. Il a vu partir trente de ses compagnons aux galères dont Jacques le fils de son voisin Jean Beaulieu et qui est mort à la peine à l’hôpital des galériens à Marseille. Ses amis Thomas Marché de Thorigné, Jacques Guérin de Sainte-Blandine et Pierre Rousseau de Grand-Ry ont été pendus le lendemain à Saint-Maixent.
Lui faudrait-il au moment du Grand Passage renier sa foi pour dormir dans la terre de ses ancêtres ? Sa famille devrait-elle s’humilier devant les persécuteurs pour qu’on lui concède le droit de l’enterrer où bon leur semblerait, nuitamment et sans scandale ?
Non, Pierre est ferme et résolu : il mourra dans la foi des siens. Ses amis fidèles l’enfouiront dans sa terre, cette terre qu’il a tant aimée.
Et le dix neuf février, tard dans le soir, dans le secret de la longue nuit de l’hiver qui s’abat sur les siens, ses amis déposent Pierre pour l’éternité dans la terre de son malheureux pays. Puis ils disent les paroles de paix, de consolation et d’espoir :
Pierre,
Tu as toute ta vie travaillé pour les tiens,
Tu n’as jamais rien renié,
Tu es trop humble pour intéresser ceux qui écrivent la Grande Histoire,
Puisses-tu rester malgré tout dans le souvenir de ceux qui apprendront ton existence, même si tous ne partagent pas ta foi.
Cimetière protestant à Cherveux en 1635
Le 2 octobre 1635, Louis BRELAY, notaire royal de la seigneurie d'Aubigné et Faye, en résidence à Echiré, est un de ceux qui fixent l'emplacement d'un nouveau cimetière pour ceux ceux de la R.P.R.à Cherveux.
source Jean RIVIERRE : ADDS/Siège Royal Saint-Maixent
Guillaume CROUÉ dénoncé à Nanteuil 1696
Meunier religionnaire au Moulin Neuf de Nanteuil, né vers 1636, il est contraint à abjurer lors de la dragonnade de 1681, avec sa femme Jacquette LOMBARD née vers 1641 et quatre enfants Françoise, Suzanne, Louis et René : 13, 9, 6 et 3 ans. En 1696, le curé de Nanteuil dénonce Guillaume CROUÉ au siège royal de St Maixent, pour être mauvais converti, l'homme portant des armes contrairement aux ordonnances. Guillaume et son frère Daniel, tous deux ayant été charroyer des tombes dans l'ancien cimetière huguenot, qui maintenant appartient au roi. CROUÉ explique que c'est la coutume qu'on y reprenne d'anciennes pierres tombales, que le curé lui-même en a donné l'ordre, mais que contrairement à ce qu'il admet pour d'autres il n'a pas permis mettre les pierres de ses ancêtres sur les tombes de ses quatre enfants morts et enterrés au cimetière catholique. Le siège royal, peu désireux de sévir, consulte l'intendant MAUPEOU, qui tout au moins d'après le dossier ne répond pas.
source Jean RIVIERRE : Rôle des N.C. et ADDS/SRSM/1696
Certificat de décès Abraham MAGNERON 1723
Bertrand et Anne Magneron, frère et soeur, demeurant au village de la Chaignée paroisse de Sainte Néomaye, ont comparu ... et messire Claude Vincent fermier général de la Châtellenie ... en leur âme et conscience, ... par-devant nous notaires ... la vérité être telle,
d'avoir bonne et entière connaissance de la personne d'Abraham Magneron, laboureur décédé au dit lieu de la Chaignée sus dite paroisse de Sainte-Néomaye, et son cadavre étendu sur son lit lequel est décédé sur les dix heures du matin par une grande oppression de poitrine,
lequel était âgé de soixante et onze ou soixante douze ans, lequel a été enterré et inhumé au lieu de la Chaignée sur les sept heures du soir le dit jour treizième de juin 1723, lesquels Magneron frère et soeur nous ont requis le présent acte.
source Maître BANLIER ADDS 3 E 10294
Ces actes devant notaire, permettaient à la famille de faire valoir leurs droits pour les successions. En attendant qu'une ordonnance royale du 9 avril 1736 crée les permis d'inhumer.
Permis d'inhumer par le procureur royal de Saint-Maixent
______
A Monsieur le Lieutenant de police de Saint-Maixent,
Supplie humblement, Abraham Ingrand domestique disant qu'Abraham Ingrand son père journalier au village de Lussaudières paroisse de Prailles, âgé de 84 ans, est décédé hier au soir, de mort naturelle au dit village de Lussaudières, duquel décès le suppliant en a fait informer le Sieur curé de Prailles et l'a fait prier et requérir d'accorder la sépulture ecclésiastique au corps du dit Ingrand, mais est ce que le dit Sieur curé refuse de faire sur le fondement qu'il ne lui a pas demandé les sacrements pendant la maladie dont il est décédé ce qui oblige le suppliant d'avoir recours à votre autorité et de requérir que ce considéré, Monsieur, il vous plaise permettre au suppliant de sa remontrance et de la déclaration qu'il vous fait du décès du dit Abraham Ingrand son père, en conséquence lui permettre de faire inhumer son corps en la manière ordinaire et fera bien. Masson.
Soit communiqué au procureur du Roi de Saint-Maixent le 19 novembre 1759. Vaslet des Guibertières
Vu la présente requête ensemble l'ordonnance à nous de soit communiqué en date de ce jour comme aussi les causes du refus du Sieur curé de Prailles d'inhumer le corps du dit Abraham Ingrand, énoncées en la dite requête, je n'empêche pour le Roi, l'inhumation requise du corps du dit Abraham Ingrand, pourvu toutefois qu'elle se fasse nuitamment et sans aucun scandale et seront ces présentes ensemble l'ordonnance à intervenir, déposée au greffe du Siège royal de police de cette ville pour y avoir recours en cas de besoin à Saint-Maixent ce 19 novembre 1759. Orry
Soit fait ainsi qu'il est requis par le procureur du Roi à Saint-Maixent ce 19 novembre 1759. Vaslet des Guibertières
Taxé à nous 3 livres et les 2/3 au procureur du Roi à Saint-Maixent ce 19 novembre 1759 Vaslet des Guibertières.
Le permis d'inhumer était sollicité par la famille devant le procureur du roi à Saint-Maixent lorsque le curé de la paroisse refusait l'inhumation, le défunt n'ayant pas fait preuve de bonne catholicité, ou ayant refusé les sacrements. La démarche se faisait dans la journée et obligeait la famille, après avoir supplié le curé, de se rendre à Saint-Maixent, Niort ou Lusignan, pour solliciter la bienveillance du lieutenant de police, du greffier du siège et du procureur. La condition préalable à l'inhumation était invariablement :
"pourvu toutefois qu'elle se fasse nuitamment et sans aucun scandale"
Constat de décès par le procureur royal de Niort
_____________
Aujourd'hui quinze janvier 1773, deux heures de relevées, par devant nous, Jean Michel Jolly, conseiller du roi, et son procureur des traites foraines domaniales de cette ville de Niort, juge sénéchal de la baronnie de Gascougnolles et de la châtellenie de Vouillé, étant dans la maison, métairie du Pont d'Homme, sus dite paroisse de Vouillé, ayant avec nous Me Jean Baptiste Barré, praticien, que nous avons commis pour notre greffier, et de lui pris le serment au cas requis, auquel lieu nous nous sommes transporté, à la réquisition de Me Anne Louis Magdeleine Moriceau, avocat en parlement, et procureur fiscal de la dite châtellenie de Vouillé, lequel nous a dit qu'il a été informé que le nommé Jean Moreau, colon de la sus dite métairie du Pont d'Homme était décédé ce jourd'hui, sur les cinq heures du matin, et qu'il professait la religion protestante, pourquoi il requiert que nous ayons à constater la mort dudit Jean Moreau, et au cas comme on l'en a assuré, que ce soit des suites d'une maladie, permettre à ses parents d'inhumer où ils jugeront à propos, sans scandale, et a, le dit procureur fiscal, signé en la minute Moriceau.
Sur quoi nous avons donné acte au dit
procureur fiscal de ses diligences et de son réquisitoire, et étant entré dans
une chambre basse de la dite métairie, nous avons remarqué sur un lit le
cadavre d'un homme qui nous a paru avoir trente à trente cinq ans, le visage
lui ayant été découvert, nous l'avons remarqué pale et livide, et nous jugeons
qu'il est mort de mort naturelle, ce que les nommés Gabriel Nicolas et Jean
Poitevin, journaliers demeurant au dit lieu de Vouillé, nous ont également
déclaré qu'ils ont passé la nuit auprès de lu, et nous ont attesté que c'est
effectivement le dit nommé Jean Moreau, qu'il laisse Louise Papot sa veuve, et
quatre enfants en bas age,
de tout quoi nous avons donné acte et permis aux parents du défunt de
l'inhumer où bon leur semblera, nuitamment et sans scandale, donné et fait par
nous sénéchal sus dit les jour et an que dessus, et s'est le dit procureur
fiscal, avec moi dit greffier, soussigné, les dits Nicolas et Poitevin ont
déclaré ne savoir signer de ce enquis et interpellés suivant l'ordonnance,
ainsi signé en la minute, Moriceau procureur fiscal, Jolly sénéchal et Barré
commis greffier.
Aujourd'hui
Une association a été créée pour recenser et aider à remettre en état les cimetières familiaux. Pour la contacter s'adresser à la Mairie de Sainte-Soline (79120), ou à la Maison du Protestantisme Poitevin à La Couarde (79800).
_______________________________________
Textes originaux de Pierre BAUDOU
mise en page Elisabeth et Guy VIDAL